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Sacrifié sur l’autel de l’humanité
Texte de Fabien Franco, critique d’art et philosophe au centre Georges Pompidou, Paris, avril 2004

A l’origine de la création d’Iseult Labote, un crime contre l’humanité. Celle d’un homme que ses agresseurs, tortionnaires, congénères ont crucifiée. D’un côté une humanité souffrante, répandant son sang sur la terre d’un terrain vague, de l’autre une humanité barbare, extrême, aveugle.
Iseult Labote a choisi de dénoncer cette part de l’Homme qui s’alimente de haine et de dogmes. Un crime collectif souligné à travers les multiples visages du supplicié, Harry McCartan. De l’usage de codes et de symboles religieux, Iseult Labote renvoie aux mythes fondateurs des sociétés. Comme le souligne Vanessa Morisset*, “les tableaux photographiques d’Iseult Labote révèlent un monde de religiosité”, en étant ici à la fois au cœur de la réflexion et de la représentation.

Grandeur d’une première croix, intitulée « the Trouble with Harry », qui a fini par écraser ce qu’elle aurait dû glorifier, où se côtoient la bannière irlandaise et la souffrance d’un catholique. Posée contre le mur comme le poids trop lourd de l’acte collectif, la croix interpelle sur la nature du crime. Le poids de l’Histoire, de la Politique, de la Religion, d’un passé et d’un présent chargés de haine et de frustration où les victimes se transforment en bourreaux. Là où le regard meurtri des visages tuméfiés semble se poser, le spectateur est amené à s’interroger sur sa propre culpabilité à être. Existerait-il une faute originelle à se faire pardonner ? La croix catholique formée de la croix orthodoxe élargit le champ d’investigation. Cette représentation byzantine du crucifié brouille l’évidence d’une dualité entre les communautés catholique et protestante d’Irlande du Nord.
Dans la troisième représentation, « Ex-Voto » la subtile transition oecuménique s’effectuant au fil de l’installation, évoque l’unité, la tolérance, et le respect de l’altérité. La répétition des images, -photos prises des journaux télévisés-, agit sur l’inconscient comme autant de miroirs où chacun de nous viendrait se refléter.
Deuxième croix l’Acheiropoitès, deuxième façon d’aborder la discrimination, implacable dévalorisation de l’identité définie, afin de lutter contre les préjugés. Images pieuses, images d’actualité, le travail d’Iseult Labote explore les différentes facettes de la perception. Parce que ce sont des images volées par l’œil photographique à l’écran de télévision, la représentation ici donnée du fait divers agit comme le catalyseur d’une réalité contemporaine soumise à l’image. La photographe loin d’adopter une posture désabusée, réaffirme une volonté, à travers les nombreuses métaphores qui jalonnent son œuvre, de placer l’Homme au centre de ses préoccupations. Dans le cadre d’une réflexion sur les Droits de l’Homme, une installation précédente “September 11th” marqua l’engagement pris par Iseult Labote d’opposer aux images cathodiques une réflexion sur les systèmes de pouvoir qui régissent l’information, la justice et la paix dans le monde. La vie humaine est sacrée, voilà sans doute pourquoi ce sont les visages qui donnent le rythme. La croix devient dans cette deuxième représentation symbole du problème, c’est elle qui martèle son prêche jaune, scande notre perception. En son nom, le crime a été commis. Elle est cette marque indélébile imprimée sur la pensée.
Image ou icône, la croix orthodoxe de l’Ex-voto illustre par sa dimension, une réduction eidétique et ce faisant interroge nos valeurs, et rétablit l’équilibre. Cette intentionnalité intuitive de l’artiste qui cherche à comprendre mais aussi à dénoncer, révèle dans cette ultime représentation l’enjeu du discours. Le droit à la différence passerait-il par l’acceptation de notre humanité aussi complexe soit-elle ? Que reste-t-il en effet de Harry McCartan, martyre un temps illuminé par l’actualité, portant à jamais les stigmates d’une involontaire passion ?

Toujours en utilisant les mêmes armes que ceux utiliser pour propager l’information de masse, c’est-à-dire l’écran cathodique, le film “Mais qui a voulu tuer Harry” reprend les premières scènes du long-métrage d’Alfred Hitchcock “Mais qui a tué Harry ?”. L’église de Polglass, paroisse de Harry McCartan, remplace celle du film. Au lieu des coups de feu entendus, le film d’Iseult Labote fait entendre des coups de marteaux puis vient le moment durant lequel le spectateur aperçoit la tête de Harry McCartan. Le goût désagréable laissé par ces trois minutes de film montre combien l’image en mouvement peut-être ambiguë. Ne sommes-nous pas devenus malgré nous, voyeurs impuissants du drame ?

Le fait divers : Dans le quartier protestant de Seymour Hill à Belfast, un jeune catholique, Harry McCartan est retrouvé crucifié dans un terrain vague, en novembre 2002. Les clous de 15 cm avaient été tordus pour rendre plus difficile l’extraction. Les images photographiées de Harry McCartan par Iseult Labote ont été tourné à l’hôpital où la victime a dû être transportée avec les poutres sciées, encore clouées aux paumes de ses mains.