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La Chaudière

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Text by Fabien Franco, critique d’art

The sento, the Japanese public baths, date back from the 8th century.
Currently and even if less in number, they form a mixed democratic island within the neighbourhoods, where the youth and the old, the officers and the workers, the employees and the retired purify their bodies and souls. The over-connected electric Tokyo, a slave of modernism contradicts the Westerners.
Draped in its vaporous volutes, Edo* pines, Edo stretches out in the fire of water before coming out purified. Even though the segregation of men and women was finally instituted in the 19th century upon the arrival of prudish Christians, the Japanese way of seeing nudity is not the same as that of a Westerner.
The tradition of bath, who would originate from Shinto religion and its water purification ritual, captured by the Greco-Swiss artist, derives from the homo sociabilis source, this unshakeable link between being and nothingness, love and death.
It is not the case here of a mere moment of relaxation, a cleaning of the body, but the fulfilment of a rite which transcends the individual and makes him part of a history, of a quest of absolute, a moment of eternity.

Through the eyepiece, Iseult Labote’s sight experiences the privilege of not existing for the other. And despite the discomfort felt at first sight, there is nothing more extraordinary than what she gets to see: the intimacy of a civilisation.
The intimacy of a social link, of a culture, of a tradition, of a history evokes the wisdom of an Asian-like Tristes Tropiques.
The strangers’ sight is not exempt from common references either and we should refer here to Ingres’ painting, full of Orientalism, revealing the sensuality of a public bath exclusively formed of women, who were seen there also through an artistic eye - the Turkish Bath (Le Bain Turc); the pop art whose successive traces emphasise the vision field of acid notes. The flagrant transgression of the photographic form enables, as a boomerang effect, to go beyond the first impression and literally plunge into a genuine bath of civilisation.
Iseult Labote’s feat mingled with courage detects with a reasoned instinct the scene plaid: between the social reality and the artistic shock, we see there too the essence itself of the artist’s work.
Aren’t the murmured voices covered by the water flow echoing the deafening silence of the industrial pictures? These photographs of strayed periurban landscapes, sites, sublimated sites.
On the one hand, the human influence is implied and on the other hand it is transcended. In both case, in the centre of attention, Iseult Labote’s art concerns mankind. The eyes scan and reveal each time the humble human condition, as well as the sacredness.

Puzzled by these public baths existing in Geneva (despite the presence of spas, which are opposite to the Japanese baths, which foster the individualism and the consumerist comfort),
Iseult Labote strives, during her journey to Japan, to grasp their essence, their main function. Suddenly on her way through a popular neighbourhood, the artist catches a chat. Intuitively, she follows the feline which leads her directly behind the scenes: the boiler. There, out of the limelight and in the heat, Iseult Labote’s eye understands that she has no time to waste:
the shooting will last less than a quarter-hour. The time required for taking photos, “write” the light, the steam, the gestures, the postures...
(*) Former name of Tokyo valid until the 19th century

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FR
Text by Fabien Franco, art critic

Les sento, les bains publics japonais, apparurent au VIIIe siècle.
Aujourd’hui, et bien que leur nombre s’amenuise, ils forment au cœur des quartiers un îlot démocratique mixte dans lequel le jeune et le vieux, le cadre et l’ouvrier, la travailleuse et la retraitée s’épurent corps et âmes. L’électrique Tokyo, hyperbranchée, vouée aux gémonies du modernisme contredit l’Occidental.
Drapée dans ses volutes vaporeuses, Edo* se languit, Edo se prélasse dans le feu de l’eau, avant de sortir au grand jour purifiée. Bien que la séparation entre hommes et femmes ait été définitivement instaurée au XIXe siècle avec l’arrivée des pudibonds chrétiens, le regard japonais sur la nudité n’est pas celui de l’Occidental.
La tradition du bain dont l’origine serait issue du culte shinto et de son rituel de purification par l’eau, capté par l’artiste gréco-suisse, puise dans la source de l’homo sociabilis, ce lien indéfectible entre l’être et le néant, l’amour et la mort.
Il ne s’agit pas là d’un simple moment de détente, un nettoyage du corps, mais de l’accomplissement d’un rite qui transcende l’individu et l’inscrit dans une histoire, une quête de l’absolu, un instant d’éternité.

À travers l’œilleton, le regard d’Iseult Labote expérimente le privilège de ne pas exister pour l’autre. Et malgré la gêne qui jaillit de prime abord, quoi de plus extraordinaire que ce qui est donné à voir : l’intimité d’une civilisation.
L’intime d’un lien social, d’une culture, d’une tradition, d’une histoire, évoque la sagesse d’un Tristes Tropiques devenu asiatique.
Le regard étranger n’est pas exempt lui aussi de ses repères habituels et il est aisé d’en appeler à Ingres, imprégné d’orientalisme, exaltant la sensualité d’un bain public composé exclusivement de femmes vu là encore à travers l’œilleton créatif, dans son Bain turc ; au pop art aussi dont les touches successives ponctuent le champ de vision de notes acidulées. La transgression flagrante de la forme photographique permet comme un effet de boomerang de dépasser la première impression et de plonger littéralement dans un authentique bain de civilisation.
La prouesse mêlée d’audace d’Iseult Labote perçoit d’instinct raisonné, la scène qui se joue : entre réalité sociale et choc artistique, nous retrouvons là-encore l’essence même du travail de l’artiste.
Les voix murmurées couvertes par l’écoulement des eaux ne font-elles pas écho au silence assourdissant des tableaux industriels ? Ces photographies de paysages périurbains, égarés, de chantiers, d’usines sublimées.
D’un côté la main de l’homme est suggérée, de l’autre elle est transcendée. Dans les deux cas, au centre de l’attention, l’art d’Iseult Labote touche l’humanité. Le regard scrute et décèle à chaque fois, l’humble condition humaine, la sacralité aussi.

Processus du shooting
Évènement déclencheur : le chat.
Intriguée par ces bains publics inexistants à Genève (malgré la présence de spas aux antipodes des bains japonais, qui cultivent l’individualisme et le confort consumériste),
Iseult Labote de passage au Japon cherche à capter leur essence, leur fonction première. Soudain au détour d’une ruelle, dans un quartier populaire, l’artiste aperçoit un chat. Intuitivement, elle suit le félidé qui la conduit directement dans les coulisses : la chaudière. Là, dans la pénombre et la chaleur, l’œil d’Iseult Labote comprend qu’il ne faut pas tarder :
le shooting durera moins d’un quart d’heure. Le temps nécessaire pour photographier, écrire la lumière, la vapeur, les gestes, les postures...
(*) Ancien nom de Tokyo en vigueur jusqu’au XIXe siècle
texte de Fabien Franco